Tant qu'il fait jour (French Edition) by Eauze Jules

Tant qu'il fait jour (French Edition) by Eauze Jules

Auteur:Eauze, Jules [Eauze, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-05-11T22:00:00+00:00


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Je la connaissais car elle avait su me donner le plaisir que vous me refusiez. Elle s’appelait Juliette ; c’était la catin du Faubourg. Je l’avais aperçue au sortir de l’hôtel de Pourpeauchasse, adossée au mur d’une église, tout à son manège. C’était d’abord un petit sourire, puis une œillade et quand un homme hésitait, en équilibre sur la ligne qui partageait le devoir et le désir, elle savait ajouter quelque chose de plus vulgaire à son visage pour emporter le morceau, disparaissant ensuite par la petite porte d’un immeuble de rapport, d’où elle ressortait quelques minutes plus tard, une ombre d’homme, dégrossi d’une jouissance qui en fait n’était déjà plus grand chose. Et aussitôt elle recommençait cette sérénade, qu’on eût dit être celle de ces insectes, qui le printemps venu, vibrionnant de fleurs en fleurs, presque en équilibre et plantent leur trompe dans les bulbes sucrés.

Car il me fallait me débarbouiller de l’empreinte du phallus dont Pourpeauchasse m’avait maculée, je sentis le désir incompressible qui depuis longtemps frayait en moi. Et l’idée de jouir d’un corps inconnu, à la va-vite, ne fit qu’accroître mon attirance pour cette arrière-boutique des soulagements humains.

Je traversais. Elle hésita. Même les trainées ont des scrupules. Je lui promis un bon prix. Elle accepta. Les pièces d’or que je déposais dans une coupelle à l’entrée de sa sous-pente, comme une rouille perce, un acide dilue, anéantirent son dégoût. Je voulais conquérir ce sommet que la littérature m’avait promis, ce point de jouissance où la mort et la vie me seraient égales. Je lui demandais de me caresser ; elle le fit. J’exigeais d’elle qu’elle fouille mes vêtements à la recherche de mes seins durs de désir ; elle s’exécuta. « Dévêtissez-vous », lui demandais-je. Elle obtempéra, parce qu’elle regardait l’or et que l’or la tenait dans sa chaleur, chaleur assez puissante pour fracturer la valeur.

Ce fut une sorte d’éclatement de vie. Le même qui, sous la poussée de la sève, arrache au prépuce du bourgeon sa feuille. Et la vie ravagea ce taudis. Debout, face à moi, cette femme qui maintenant se touchait le ventre, penchant à ma demande sa tête vers la gauche, mit entre parenthèse le monde jusqu’à ce que, m’avançant pour mordre son sexe, je remarque, à un pouce de ma langue, comme un gros fruit mur, le bubon verdâtre qui pendait à ses lèvres. Je la repoussais violemment, dégoûtée de découvrir cette révoltante saleté : « vous êtes pourrie jusqu’à la moelle ! » lui dis-je.

Elle mit ses deux mains sur son sexe comme si ce cancer était sa seule nudité et son unique pudeur.

- C’est le garçon boucher ! C’est de sa faute. Il m’a donnée sa vérole. Qu’est-ce que j’y peux ? Il faut bien que je travaille pour le peu de temps qu’il me reste à vivre. Je ne vais pas me laisser mourir parce que je suis attrapée par la maladie. Que feriez-vous à ma place ?

- Je me tuerai, lui répondis-je. Oui c’est cela je tuerai le garçon-boucher et après je me tuerai.



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